Combattre dans les règles

Un mécanisme volontaire favorisant le respect du droit international humanitaire, délibérément conçu comme non contraignant et non politique, pourrait-il contribuer à combler le fossé entre les idéaux qui sous-tendent les règles de la guerre et les pratiques constatées sur le terrain ?

REFUS D’ASSISTANCE HUMANITAIRE à des populations civiles, bombardements aveugles, prises d’otages, torture : ce ne sont là que quelques-unes des tendances visibles dans les conflits actuels qui non seulement causent d’immenses souffrances, mais qui sapent l’idée même selon laquelle la guerre a des règles qui doivent être respectées.

Comme l’a déclaré le président du CICR Peter Maurer devant la quatrième réunion des États visant à renforcer le respect du droit international humanitaire (DIH) à Genève au mois d’avril, «les souffrances humaines et les besoins humanitaires causés par les conflits armés dans le monde seraient bien moindres si le droit international humanitaire était appliqué comme il se doit par les parties sur le terrain».

Tout le problème réside dans la différence considérable entre ce qu’exige le DIH et ce qui se produit souvent sur le terrain. Comme l’a expliqué Peter Maurer à Genève, il y a toujours d’immenses lacunes dans la mise en œuvre du DIH.

Or, combler ce fossé n’est pas une tâche aisée. De nos jours, les conflits sont devenus de plus en plus complexes et de moins en moins internationaux, avec de plus en plus de participants aux combats appartenant à ce que l’on appelle souvent des groupes armés «non étatiques».

Bien qu’ils soient liés par le droit international humanitaire, certains de ces groupes armés peuvent avoir des connaissances limitées de ses règles; d’autres peuvent tout bonnement les rejeter, ou ne pas les appliquer dans la pratique.

Les États aussi enfreignent souvent la lettre et l’esprit du DIH dans leur lutte contre les groupes armés de ce type. Dans un cas comme dans l’autre, il peut en découler des souffrances indescriptibles pour la population civile ainsi que des obstacles à l’assistance et à la protection des populations touchées.

Lorsqu’il s’agit de combattre les violations alléguées du DIH, l’écart est aussi très important. Les Conventions de Genève et le Protocole additionnel I prévoient trois mécanismes possibles qu’un État partie à un conflit armé international peut déclencher par rapport à un adversaire.

Conçus à une époque où la majeure partie desconflits étaient des différends internationaux entre des États, ils ont rarement été mis en œuvre et cette possibilité est encore plus faible de nos jours, puisque la majorité des conflits armés opposent des États à un ou plusieurs groupes armés non étatiques.

Ainsi, comme le note Peter Maurer, «les mécanismes du DIH inscrits dans les Conventions de Genève et dans le Protocole additionnel I ont montré qu’ils ne pouvaient pas contribuer à combler les lacunes de la mise en œuvre.»

La nécessité de se rencontrer

Il se trouve que les Conventions de Genève sont pour ainsi dire les seuls traités de droit international qui ne sont pas complétés par un cadre permettant aux États de débattre régulièrement de leur application et de leur mise en œuvre.

D’autres traités internationaux — comme ceux qui interdisent l’emploi des mines antipersonnel ou qui réglementent les transferts d’armements — contiennent des dispositions qui prévoient des réunions régulières.

Ces réunions permettent de focaliser l’attention des États et des organismes internationaux sur la nécessité de développer les capacités, les rapports internes, les bonnes pratiques et les autres mesures permettant de favoriser le respect du traité.

C’est dans ce contexte que le CICR a agi, dans le cadre d’une initiative diplomatique conjointe avec le gouvernement de la Suisse, pour faire naître un accord sur de nouvelles manières de garantir le respect du DIH. Sur la base de la résolution 1 de la XXXIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui s’est déroulée à Genève en 2011, la Suisse et le CICR ont mené un processus de consultation ouvert à l’ensemble des États parties aux Conventions de Genève. Plus de 140 États ont participé dans ce cadre à neuf réunions entre 2012 et 2015.

La proposition issue de ce processus, à laquelle souscrit la grande majorité des États et qui sera discutée lors de la XXXIIe Conférence internationale à Genève au mois de décembre, appelle à la création d’un mécanisme non contraignant, volontaire, dont les principales composantes sont les suivantes :

• Au centre du nouveau système, une réunion régulière des États qui servirait de forum pour un dialogue et une coopération soutenus entre les États sur les manières d’améliorer la mise en œuvre du DIH.

• Des discussions thématiques sur des enjeux du DIH qui permettraient des échanges de vues sur des questions juridiques, pratiques ou politiques cruciales.

• Un système de rapports périodiques sur le respect du DIH au plan national, qui permettrait aux États d’examiner et d’évaluer périodiquement l’efficacité des mesures prises à l’échelle nationale pour assurer le respect du DIH. Cette fonction permettrait aussi le partage des bonnes pratiques en tenant compte des besoins de chaque État en termes de renforcement des capacités. Elle aiderait aussi à identifier les difficultés dans la mise en œuvre du DIH ainsi que les manières de les surmonter.

Éviter toute politisation

Cette nouvelle réunion des États autour du DIH n’aurait pas pour objet d’examiner des situations spécifiques, mais plutôt de débattre de questions générales ou d’intérêt commun, afin d’éviter toute politisation, affirme le conseiller fédéral suisse Didier Burkhalter. «Ce nouveau mécanisme ne doit pas être utilisé pour pointer un index accusateur sur qui que ce soit», a expliqué Didier Burkhalter lors de la quatrième réunion des États au mois d’avril. «Il aura pour objet de faciliter la mise en œuvre du DIH et de créer un environnement favorable à un meilleur respect du droit humanitaire.»

Pour éviter toute politisation, les rapports nationaux soumis dans ce cadre ne feraient pas l’objet d’une discussion individuelle, mais seraient compilés sous forme de documents «décontextualisés», qui devraient permettre aux représentants des États de réfléchir à des moyens d’améliorer la mise en œuvre du DIH sans politiser le débat. De la même manière, les débats thématiques sur le DIH permettraient de soulever des questions pertinentes pour un certain nombre d’États, afin d’éviter toute association avec un contexte particulier.

«Un certain nombre d’États ont exprimé la crainte qu’un nouveau mécanisme de respect du DIH pourrait être manipulé, étant donné l’antagonisme qui prévaut aujourd’hui dans les relations internationales», a relevé Peter Maurer, en évoquant la crainte de voir le système utilisé comme un outil ou un «instrument» au service d’un objectif politique et non humanitaire.

Un homme âgé dans les décombres de bâtiments détruits par des bombardements intenses. Dans bon nombre des conflits actuels, ce genre de destruction massive, dû à un emploi de la force sans discrimination dans des zones peuplées, est une marque de manque de respect du droit international humanitaire de la part des belligérants.
Photo : Thomas Glass/CICR

Une solidité suffisante ?

Certains observateurs ont émis des doutes sur la capacité d’un système volontaire de garantir des changements sur le terrain des conflits; pour eux, des éléments plus solides sont sans doute nécessaires.

Or, selon Helen Durham, directrice du droit international et des politiques humanitaires au CICR, étant donné les préoccupations touchant le fait que les mécanismes d’application peuvent ne pas toujours être politiquement neutres, cette démarche «apolitique» est un pas important pour permettre aux États de partager leurs meilleures pratiques et de débattre de leur expérience dans la mise en œuvre du DIH.

«Le CICR se félicite vivement du degré d’engagement et d’intérêt dont ont fait preuve de nombreux États pendant les quatre années de discussions concernant le mécanisme proposé, affirme Helen Durham. De toute évidence, tout le monde considère que cette question mérite une grande attention.

«Il existe de nombreux moyens d’améliorer le respect du DIH et nous devons examiner comment toutes ces méthodes peuvent se compléter, poursuit-elle. Le rôle du CICR consiste à se concentrer en permanence sur les solutions possibles à des problèmes humanitaires critiques. Le respect insuffisant du DIH a sans aucun doute des répercussions considérables sur la vie de toutes les personnes touchées par les conflits armés.»

«Les mécanismes du DIH inscrits dans les Conventions de Genève et dans le Protocole additionnel I ont montré qu’ils ne pouvaient pas contribuer à combler les lacunes de la mise en œuvre.»

Peter Maurer, président du CICR

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