Sur cette illustration, des participants à des programmes de dons en espèces mis sur pied par le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge : au Kenya, après la sécheresse de 2014; au Népal, après le séisme d’avril 2015 et au Myanmar, après les inondations de 2015.
Illustration: Michelle Thompson. Photos (de gauche à droite) : Poul Henning Nielsen/Croix-Rouge danoise; Carlo Heathcote/FICR; Poul Henning Nielsen/Croix-Rouge danoise

Quand l’argent agit

Donner de l’argent — plutôt que des produits— représente dans bien des cas la manière la plus efficace de conférer aux gens le pouvoir d’achat nécessaire pour prendre en mains leur propre relèvement.

Lorsqu’un séisme de 7,8 sur l’échelle de Richter dévasta les côtes de l’Équateur en avril 2016, le monde de Salvador Muñoz, un homme âgé de 50 ans, s’effondra. Sa famille n’avait plus de toit et son atelier de tailleur, installé dans sa maison, était en ruines.

Une chose, pourtant, avait survécu à la catastrophe : son esprit d’entreprise, une qualité, affirme-t-il, acquise dès l’enfance. Grâce à un don en espèces de la Croix-Rouge équatorienne, il a construit une boutique avec des bâches et des piquets, dans laquelle il vend, chaque nuit, des plats à emporter. Il a réussi à réparer l’une de ses machines à coudre, qu’il utilise pour réparer des habits pour les habitants qui vivent à proximité.

Salvador est à nouveau actif et il est plein d’optimisme : «Nos épreuves sont derrière nous, il est temps de relever la tête et de reprendre ce que le tremblement de terre nous a volé», affirme-t-il.

C’est précisément le type de résultat que peut apporter une injection d’argent bien préparée, selon les partisans des programmes de transfert monétaire : donner aux personnes les moyens de répondre à leurs besoins de la manière la plus efficace et la plus digne possible.

Alors que la communauté commençait à relever la tête, la Croix-Rouge a entrepris de fournir un appui économique afin de réactiver les moyens de subsistance des familles et de stimuler l’économie locale. Chaque famille a reçu une carte de débit comportant 200 dollars É.-U. pour couvrir les besoins de base immédiats, explique Sonia Cárdenas, responsable des moyens d’existence au sein de la Croix-Rouge équatorienne. À la fin du mois de septembre, l’initiative de transfert d’argent liquide – mise en œuvre en coordination avec la FICR – avait touché quelque 2000 familles dans huit communautés.

L’argent liquide n’était toutefois qu’une partie de l’intervention. Dès les premiers instants qui ont suivi la première secousse, la Croix-Rouge équatorienne était sur place pour dégager les victimes des décombres, soutenir les autres organisations de secours, distribuer des vivres, de l’eau et des couvertures, aider à installer des systèmes d’eau et d’assainissement et pour donner des conférences sur des questions de santé et d’organisation de la communauté.

Les transferts monétaires tiennent une place importante dans cette combinaison de mesures. Fourni sous des formes diverses — de l’argent liquide proprement dit, des paiements électroniques sans conditions ou encore des bons permettant d’acheter des articles précis —, l’argent est utilisé de plus en plus couramment pour aider les victimes des crises.

De l’Équateur au Myanmar, du Népal à la Somalie, du Viet Nam au Canada, les transferts d’argent sont désormais partie intégrante des opérations de secours du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Depuis 2010, plus de la moitié des appels d’urgence de la FICR ont inclus de l’argent liquide dans les mesures d’intervention et, au cours des huit premiers mois de 2016, 85 % d’entre eux ont inclus une forme ou une autre de transfert d’espèces.

Cette forme d’assistance n’a toutefois rien de nouveau : les volontaires de la Croix-Rouge ont distribué de l’argent liquide pendant la guerre franco-prussienne de 1870-71, et à de nombreuses reprises par la suite. Il est généralement admis, parmi les organisations de secours, que le tsunami de 2004 dans l’océan Indien a marqué un tournant en ce qui concerne l’aide en argent liquide, après que de nombreuses organisations ont entrepris de piloter des programmes de ce type sur place au lieu d’apporter une aide en nature.

La nouveauté réside dans le volume et l’échelle des programmes de transfert d’argent. S’ils ne représentent que 6 % de l’argent dépensé dans les activités de secours dans le monde, selon le Overseas Development Institute (ODI), la pratique est désormais répandue et presque toutes les grandes organisations proposent de l’argent liquide, sous une forme ou une autre, dans leurs interventions en cas d’urgence grave.

By Nick Jones

Journaliste et rédacteur indépendant basé à Tokyo (Japon).

L’aide dans la dignité

Pourquoi cette forme d’assistance gagne-t-elle du terrain ? «Le nombre de personnes résidant en zone urbaine augmente, et de ce fait nous réagissons toujours davantage à des catastrophes urbaines. L’argent liquide est de plus en plus pertinent parce que les gens ont plus facilement accès aux marchés et aux systèmes nécessaires pour soutenir les transferts en espèces», explique Claire Durham, administatrice principale, Innovations dans les programmes de transferts d’espèces, à la FICR.

Même dans les zones rurales, ajoute-t-elle, la technique permet de recourir à ces programmes, car les habitants utilisent de plus en plus leur téléphone portable pour toutes leurs opérations, du remboursement de leurs dettes jusqu’au suivi de leur compte en banque, en passant par les achats de produits dans les magasins locaux.

Comme les conflits durent plus longtemps et comme les retombées des autres crises ont des répercussions à long terme, les organismes d’aide cherchent des moyens plus créatifs d’aider les gens à se relever ou à trouver de nouveaux moyens de subsistance tout en leur apportant une assistance qui stimule plutôt que de concurrencer les marchés locaux, rouages essentiels de la stabilité et d’une reprise durable.

Parallèlement, un mouvement se développe dans les milieux de l’aide humanitaire pour trouver des solutions conférant davantage de choix et de pouvoir aux bénéficiaires. C’est ce qui explique que les participants à une table ronde de haut niveau, lors du sommet humanitaire mondial d’Istanbul, en mai 2016, ont vigoureusement plaidé pour un recours accru à l’aide en espèces dans les situations d’urgence.

Les experts recommandent de plus en plus l’utilisation de dons en argent liquide semblables à ceux qui ont été pratiqués en Équateur, c’est-à-dire des dons «sans conditions», permettant aux destinataires de décider comment ils utilisent l’argent pour acheter les biens dont ils ont le plus besoin sur les marchés locaux. Lorsqu’elles font ce type de don, les organisations d’assistance formulent souvent des recommandations, mais n’imposent rien.

Étant donné la diversité des besoins que peuvent avoir les habitants après une crise, les organisations d’assistance ont maintenant compris que des dons en espèces, avec peu, voire pas de restrictions, peuvent aider les gens à répondre à davantage de besoins que des dons assortis de conditions (ne pouvant être utilisés que pour acheter de la nourriture à des vendeurs précis, par exemple) ou des distributions massives d’articles identiques.

Ce n’est pas seulement une question de choix, mais aussi de dignité. «En donnant de l’argent, on offre le choix. Les gens peuvent mieux décider en fonction de leurs besoins», assure Geraud Devred, spécialiste des marchés et des transferts monétaires pour le CICR à Nairobi, la capitale du Kenya. «On est moins paternaliste en distribuant de l’argent qu’en distribuant des produits.»

Changer de regard

Le regard porté sur l’argent liquide est lui aussi en train d’évoluer. Alors que le scepticisme était de mise à une certaine époque — les dons en espèces, pensait-on, prêteraient davantage le flanc aux abus que les biens matériels —, la distribution d’argent est perçue désormais comme une mesure plus efficace et plus transparente que la fourniture d’aide matérielle lorsque les marchés locaux sont en mesure de fournir des produits de base.

Dans un rapport de 2015 sur les transferts d’espèces, l’ODI et le Center for Global Development se basent sur plus de 200 évaluations et études approfondies pour conclure que «les faits suggèrent que, dans bien des situations, l’argent liquide représente un meilleur moyen d’aider la population et de stimuler les marchés».

«Les préoccupations évidentes concernant l’argent liquide — qu’il cause de l’inflation pour les produits essentiels sur les marchés locaux, qu’il suscite les abus, la corruption ou des détournements, ou encore le risque qu’il soit monopolisé par les hommes et désavantage les femmes — ne sont pas corroborées par les faits», conclut l’étude.

Le groupe d’experts réunis pour rédiger le rapport ne nie pas que les dons sans conditions peuvent donner lieu à des abus, mais le risque de corruption n’est pas plus élevé qu’avec l’aide matérielle. Le rapport cite, à l’appui de cette conclusion, des exemples de cas dans lesquels les personnes ayant reçu de l’assistance ont revendu les produits qui leur avaient été donnés pour acheter d’autres choses dont ils avaient davantage besoin. D’autre part, dit le rapport, certains types de transferts d’espèces (comme les virements d’argent numérisés par téléphone mobile) offrent de meilleurs moyens de contrôle et d’évaluation des schémas de dépense que les biens traditionnels en nature.

«Les donateurs et les organismes d’assistance qui conçoivent des interventions humanitaires devraient considérer par principe que les transferts monétaires constituent la meilleure réponse immédiate aux crises», concluent les experts de l’ODI. Au lieu de commencer par chercher des raisons de ne pas utiliser l’argent liquide, le rapport suggère de se poser d’abord la question inverse : «Pourquoi pas du cash ?»

Reste que les espèces ne sont pas adaptées à toutes les situations. Dans un rapport intitulé Guidelines for Cash Interventions in Somalia, l’organisation Horn Relief (devenue African Development Solutions) énumère quelques-unes des conditions dans lesquelles ce type d’intervention n’est pas adapté : par exemple, lorsque le marché local est gravement perturbé et que les produits de première nécessité doivent être acheminés plus vite que ce que le marché peut offrir; lorsque le risque d’inflation est élevé (par manque de produits ou par manque d’opérateurs sur le marché), ou encore si les dons en liquide risquent d’exposer les personnes qui les reçoivent au vol.

Les dons en espèces sont rarement fournis isolément. Ainsi, dans les années qui ont suivi le passage du typhon Haiyan en 2013, la Croix-Rouge philippine et le CICR ont fourni des matériaux pour abris accompagnés de dons en espèces afin d’aider la population à retrouver des moyens de subsistance, comme la culture du riz, qui permet à la fois de générer un revenu et de soulager les inquiétudes touchant la sécurité alimentaire. Photo : Jez Aznar/CICR

«Pas question de revenir en arrière»

Pourtant, même dans des lieux où règne une grande insécurité, l’argent liquide présente des avantages. Les transferts d’argent sous forme numérique, par exemple, permettent aux bénéficiaires de continuer à recevoir de l’argent liquide sans devoir retourner dans un endroit précis. On limite ainsi le risque lié aux rassemblements pour la distribution de l’assistance, mais aussi les risques et les coûts associés à l’importation, au transport et à la distribution de produits dans des zones peu sûres.

Martin Kenny, spécialiste des marchés et des transferts monétaires au sein de la délégation du CICR pour la Somalie à Nairobi, explique que le CICR offre trois types de programmes de transfert d’espèces en Somalie : des dons sans condition, destinés à aider les personnes dans les phases initiales suivant une calamité; des dons assortis de conditions pour aider les personnes à créer, redémarrer ou développer une entreprise; et des travaux contre rémunération, pour remettre en état des infrastructures comme des bassins de captage des eaux de pluie et des canaux d’irrigation.

«Ces projets ont des effets à long terme, explique-t-il. Un canal remis en état permettra à davantage d’agriculteurs de produire davantage de nourriture, qu’elle soit destinée à la vente ou à la consommation familiale, ce qui peut renforcer leurs moyens de subsistance.»

En outre, bien qu’il soit dans l’incapacité d’envoyer du personnel dans certaines régions de la Somalie, le CICR peut aider les personnes dans le besoin grâce à des transferts monétaires électroniques utilisant le réseau de téléphonie mobile du pays. «Même dans des zones totalement isolées, on trouve toujours une économie de marché qui fonctionne dans une certaine mesure, ce qui nous a encouragés à essayer les transferts monétaires», explique Martin Kenny.

L’argent liquide présente un autre avantage potentiel : la rapidité. Après les terribles incendies qui ont ravagé cette année la province d’Alberta, au Canada, la Société canadienne de la Croix-Rouge s’est associée à la Banque royale du Canada pour mettre rapidement en place une plate-forme numérique permettant les transferts monétaires. Lorsque tous les habitants de Fort McMurray ont dû fuir leur foyer, il n’a fallu qu’un peu plus d’une semaine pour que la Société nationale distribue 50 millions de dollars canadiens en utilisant les téléphones portables de milliers de personnes évacuées.

«Pour la Croix-Rouge canadienne, il n’est pas question de revenir en arrière», déclare Jean-Philippe Tizi, vice-président de l’équipe de gestion des catastrophes. «Cette assistance fondée sur les techniques numériques est un procédé nouveau et très efficace; dans une situation d’urgence de grande ampleur, c’est indispensable.»

L’argent liquide a été considéré comme éminemment pratique dans ce cas, entre autres parce que les victimes des incendies, qui avaient perdu leur foyer ou leur travail, s’étaient dispersées dans des villes différentes. Le transfert d’espèces était le moyen le plus souple de donner à chacun l’aide dont il avait besoin.

Il ne s’agit pas, pour autant, de remplacer les dons en nature par l’argent liquide. Au lendemain de la catastrophe, la Société canadienne de la Croix-Rouge a aussi fourni toute une gamme de services, de la distribution de couvertures et de vivres à la fourniture de logements et de services de soutien psychologique.

«Nos épreuves sont derrière nous, il est temps de relever la tête et de reprendre ce que le tremblement de terre nous a volé.»

Salvador Muñoz, qui a survécu au tremblement de terre d’avril 2016 en Équateur

Qu’en disent les destinataires ?

«L’argent m’a permis de créer une entreprise de transformation de peaux. J’achète des peaux de vache au marché, que je découpe pour les revendre. Les bénéfices me permettent de payer les études de mes enfants, ce qui est pour moi la chose essentielle.»

Ces mots, qui émanent d’un bénéficiaire de transferts monétaires en République démocratique du Congo (RDC), corroborent les conclusions d’une étude de 2015, publiée par la FICR et le Cash Learning Partnership (intitulée Voices and views of beneficiaries on unconditional cash transfers).

Cent onze participants de la RDC, du Népal et des Philippines ont été interrogés sur les aspects positifs et négatifs du programme de dons dont ils avaient bénéficié. De manière générale, ils ont convenu que l’argent liquide offrait la possibilité de faire des choix et renforçait le respect de la dignité des bénéficiaires, tout en donnant la souplesse nécessaire pour répondre à des besoins divers, allant des produits de base — vivres, articles de ménage — à l’éducation pour les enfants ou des réparations aux abris.

En RDC, la majorité des bénéficiaires ont aussi déclaré que le fait de recevoir de l’argent liquide leur avait permis de prendre des décisions sur la meilleure manière de recouvrer leurs moyens de subsistance. Contrairement à la formation professionnelle ou aux coupons permettant d’obtenir des produits précis, l’argent liquide permet aux bénéficiaires de choisir leurs propres options économiques.

L’argent liquide a aussi permis aux destinataires de renouer avec leurs engagements sociaux, comme leurs dettes ou leurs investissements conjoints, ce qui constitue un aspect important de la culture des trois pays étudiés. Parmi les innombrables difficultés et entraves, le fait de pouvoir apporter sa contribution et de prendre des décisions en commun a permis aux bénéficiaires de se sentir responsables et respectés.

Plusieurs personnes des deux sexes ont déclaré que l’argent leur avait permis d’évacuer leur sentiment d’humiliation. «Recevoir de l’argent a mis un terme à l’humiliation que je ressentais», a déclaré une bénéficiaire aux Philippines. «Jusque-là, je n’avais ni robe, ni poêle, ni lit. Tout cela était dégradant. L’argent liquide m’a libérée et m’a rendu mon indépendance.»

Certaines personnes, cependant, ont aussi expliqué que l’aide monétaire n’avait pas suffi à répondre à leurs besoins multiples, comme les frais d’inscription à l’école, le remboursement de dettes ou le financement de grosses dépenses, comme la construction d’un logis permanent. L’un des destinataires a décrit l’aide monétaire comme «un coup de pouce dans la bonne direction», tandis que d’autres ont déclaré que l’argent avait contribué à stabiliser temporairement leur situation, mais pas assez pour assurer un relèvement durable.

L’un des plus grands écueils restant à surmonter, selon le rapport, est de faire en sorte que l’argent liquide tienne pleinement ses promesses, en conférant aux bénéficiaires un rôle accru pour arrêter le montant, le calendrier et le type d’assistance. «Le système doit être repensé en profondeur afin de mettre en place des structures et des pratiques permettant la participation des bénéficiaires de l’aide humanitaire, dans les situations d’urgence, aux décisions sur la planification, le déploiement et la mise en œuvre de l’assistance qu’ils reçoivent.»

Dans le cadre des activités de relèvement après le passage du typhon Haiyan, une équipe de distribution d’espèces de la Croix-Rouge philippine et de la FICR enregistre les membres de la communauté qui recevront des dons en espèces sans conditions. Photo : Patrick Fuller/FICR

Comprendre les marchés

Chaque situation d’urgence exige de trouver le bon équilibre dans les mesures d’assistance, en fonction des besoins et de la situation des marchés locaux. C’est pourquoi il est si essentiel que les organisations humanitaires ne se contentent pas de comprendre les besoins de la population, mais s’efforcent aussi d’appréhender l’impact qu’auront leurs activités sur les marchés locaux.

Les agents humanitaires savent depuis longtemps que les importations massives de produits dans un pays en crise peuvent avoir des répercussions néfastes. Et pourtant, c’est l’utilisation accrue des transferts monétaires qui a amené les humanitaires à prendre pleinement conscience de la dynamique des marchés. «L’argent liquide contribue vraiment à déclencher la réflexion au sujet des marchés», relève Claire Holman, administratrice, transferts d’espèces au sein du Département Prévention des catastrophes et des crises, interventions et relèvement de la FICR. «C’est un grand progrès.»

«Pour comprendre quel type d’intervention est le mieux adapté, il faut étudier le marché.»

Geraud Devred, spécialiste des marchés et des transferts monétaires pour le CICR
à Nairobi (Kenya)

Des outils d’analyse rapide

Cela dit, comment les agents humanitaires peuvent-ils analyser les marchés en pleine situation d’urgence, alors que le temps manque pour une recherche et une analyse approfondies ? Pour répondre à cette question, le CICR, la FICR, la Croix-Rouge américaine et la Croix-Rouge britannique ont uni leurs efforts pour concevoir des outils permettant d’aider le personnel à évaluer rapidement les marchés locaux après une catastrophe et de décider s’il convient de réagir en offrant de l’argent liquide, une assistance en nature ou une combinaison des deux.

Le guide sur l’évaluation rapide des marchés (ERM) et le document plus détaillé sur l’analyse des marchés sont conçus pour aider les équipes d’évaluation des situations d’urgence à intégrer une analyse des marchés dans le travail initial de collecte de données afin de veiller à ce que l’aide, sous quelque forme que ce soit, stimule et protège l’économie locale plutôt que de déclencher des hausses de prix ou d’étouffer la reprise des marchés et la croissance. «Pour comprendre quel type d’intervention est le mieux adapté, il faut étudier le marché», assure Geraud Devred.

Ces évaluations se fondent sur des visites aux marchés locaux, des discussions individuelles et en groupe avec des opérateurs et des fournisseurs clés, des analyses des données du gouvernement ou de groupes commerciaux le cas échéant, et des entretiens avec des bénéficiaires potentiels des mesures d’assistance. L’objectif essentiel est de déterminer en quoi l’événement a restreint l’accès de la population à des biens essentiels et d’établir comment aider les gens à obtenir ces biens, de manière à soutenir les marchés locaux et à fonctionner «dans le respect des institutions, des règles et des normes, officielles et officieuses, qui régissent ces interactions», pour citer les lignes directrices.

Pour parvenir à une compréhension de base de ces variables, les lignes directrices proposent une série de questions : Quels sont les biens essentiels dont les gens ont besoin ? Où peuvent-ils être achetés et à quel prix ? Le marché est-il concurrentiel, ou certains fournisseurs s’entendent-ils pour fixer les prix ? Quel est l’état du marché du travail ? Comment les familles obtiennent-elles l’essentiel de leurs revenus et en quoi la crise a-t-elle sapé ces moyens de subsistance ? Quels sont les prix de ces biens du lieu de production jusqu’au point de distribution et de vente au détail ?

«Nous commençons par essayer de comprendre le fonctionnement du marché [local], ainsi que la situation de sécurité, qui peut influencer l’accès au marché des populations locales», explique Jules Amoti, responsable des programmes de transferts monétaires au sein de l’Unité sécurité économique du CICR à Genève. «Nous tentons aussi de comprendre le flux des produits de base, la capacité financière des personnes d’acheter ces produits, les mécanismes de transfert monétaire disponibles sur le marché et l’ensemble des facteurs sociaux qui entourent l’utilisation de l’argent liquide dans la communauté.»

L’évaluation rapide peut fournir assez d’informations de base pour cadrer les interventions durant quatre à six semaines, mais une surveillance continue est souhaitable, car les prix et les volumes évoluent avec le temps. Les responsables de l’intervention peuvent alors ajuster l’assistance, qu’elle soit en nature ou en espèces, en fonction de la situation.

Les obstacles à surmonter

Dans une situation idéale, les intervenants après un événement ou une crise auraient déjà recueilli des données de marché, dans le cadre des activités de préparation aux catastrophes ou dans le contexte des opérations de secours à long terme dans une crise prolongée. L’une des principales difficultés actuelles pour le Mouvement consiste à développer ses capacités d’évaluation des marchés et, le cas échéant, de déployer rapidement les transferts en espèces comme outil d’intervention possible.

Or, de nombreuses Sociétés nationales, par exemple, n’ont pas encore pris toutes les mesures nécessaires — accords juridiques avec les banques et les entreprises de télécommunications, formation de volontaires à la distribution d’argent liquide, mobilisation des pouvoirs publics, des communautés et des donateurs — pour pouvoir réagir rapidement par des distributions d’argent liquide en cas de catastrophe. Lorsque les Sociétés nationales ne disposent pas de système en place, la FICR les aide à créer des dispositifs avec les banques pertinentes et à rédiger des accords avec les tiers (banques, sociétés de télécommunications, détaillants, etc.).

Si les aspects techniques peuvent être réglés assez rapidement, le manque de préparation peut retarder les transferts d’espèces de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, en particulier lorsque les Sociétés nationales ou les gouvernements n’ont jamais réalisé de tels programmes. «C’est pourquoi nous encourageons les Sociétés nationales à préparer les transferts monétaires, de manière à ce qu’elles puissent réagir dès qu’une crise survient», conclut Claire Holman.

De même, les capacités internes d’évaluation des marchés et de déploiement d’une opération en espèces sont loin d’être présentes partoutau CICR; depuis 2012, l’organisation a donc commencé à investir davantage de ressources dans la formation du personnel à l’évaluation des marchés et à l’utilisation des programmes de distribution d’argent liquide.

De manière plus générale, les organismes d’assistance doivent aussi prendre conscience de la nécessité d’améliorer la qualité globale de l’évaluation, de la sélection des bénéficiaires et du suivi, afin de réduire au minimum les risques que l’argent liquide puisse être détourné au profit de groupes armés, enfreindre la législation antiterroriste ou tout simplement être employé d’une manière qui ne contribue pas à aider les victimes à reprendre pied. Les organismes d’assistance doivent aussi veiller à ce que les données personnelles recueillies pour procéder aux versements électroniques soient en sécurité.

L’une des pionnières des programmes d’aide en espèces, Degan Ali, directrice exécutive d’African Development Solutions, basée à Nairobi, considère qu’avec le temps, les fonctions de gestion des données devraient être assumées par les gouvernements, qui mettront au point des lois et des pratiques assurant la protection des données (voir en page 1). Là où les pouvoirs publics ne sont pas en mesure de remplir ce rôle, un organisme neutre pourrait être désigné à cet effet.

Autre écueil: la «sectoralisation» de l’argent liquide. Chaque organisation ne fournit des espèces que pour son domaine d’activité : de l’argent contre des vivres, contre des moyens de subsistance ou contre des abris. Pour Degan Ali, «Avec la multiplication des groupes qui offrent des dons en espèces, les réfugiés ou les personnes déplacées doivent aller d’une organisation à l’autre, en répondant à chaque fois aux mêmes questions pour bénéficier des services ou des produits offerts.» Elle appelle de ses vœux une collaboration plus intense sur des systèmes normalisés qui permettraient aux destinataires de l’aide de s’inscrire une seule fois et de recevoir une carte à utiliser auprès d’un ensemble d’organisations. Le procédé a déjà été utilisé dans des situations d’urgence nationales et dans certaines crises internationales prolongées, mais les mécanismes de coopération pour les opérations internationales de grande ampleur sont encore loin d’être la norme.

Dans le cadre d’une initiative micro-économique du CICR, les dons en espèces ont permis à une habitante de la communauté d’Iyakkachchi, à Pallai (Sri Lanka), de créer un réseau de vannières. Photo : Tuan Zaharan/CICR

«Pour la Croix-Rouge canadienne, il n’est pas question de revenir en arrière. Cette assistance fondée sur les techniques numériques est un procédé nouveau et très efficace; dans une situation d’urgence de grande ampleur, c’est indispensable.»

Jean-Philippe Tizi, membre de l’équipe de gestion des catastrophes de la Société canadienne de la Croix-Rouge

Santé publique et marchés sains

Saadiya Ahmed lève son couperet et tranche en deux la patte d’une chèvre abattue. Puis, avec une dextérité remarquable, elle débite la viande en portions. Saadiya est l’une des bouchères travaillant au marché de Beledweyne, en Somalie. Son objectif est de gagner un revenu régulier en vendant une chèvre par jour.

«Cela me permettra de payer les factures du ménage et d’amener mes enfants à l’hôpital lorsqu’ils tombent malades», explique Saadiya, qui s’est installée à Beledweyne après avoir fui Mogadiscio, laissant derrière elle sa famille élargie. Comme elle a des enfants à nourrir, elle a utilisé le peu d’argent dont elle disposait pour se lancer dans le commerce de la viande.

Sur le marché de Daraawista, la plupart des étals sont tenus par des femmes. Arrivées dès 6 heures du matin, elles vendent du bois à brûler, du charbon de bois, des légumes ou de la viande. La section de la viande est la plus bruyante du marché : le bruit des hachettes ponctue les échanges et les exclamations du marchandage. C’est un signe parmi d’autres du dynamisme du commerce du bétail à Beledweyne, la quatrième ville de Somalie, qui abrite deux marchés de bétail et quatre abattoirs, dans lesquels le travail commence bien avant l’aube.

Les animaux sont abattus à même le sol nu, puis lavés avec de l’eau tirée du fleuve Shabelle, qui traverse la ville. La viande n’est pas inspectée; elle est apportée directement aux commerçants, sur des charrettes tirées par des ânes.

La santé publique et l’hygiène sont une préoccupation évidente et le CICR va financer cette année la formation de plus de 400 bouchères aux mesures d’hygiène dans la manipulation de la viande, ainsi que la fourniture de lots de matériel composés d’un jeu de couteaux, de gants, de deux tabliers et d’une brouette.
Près de 50 de ces femmes — dont Saadiya Ahmed — viennent de Beledweyne.

«La majorité des bouchères n’ont reçu aucune formation sur la manipulation de la viande, explique Massimo Zecchini, chirurgien vétérinaire pour le CICR en Somalie. La préparation de la viande dans le respect des principes d’hygiène peut réduire l’incidence des maladies d’origine alimentaire.»

En outre, les spécialistes du bétail du CICR forment les agents de santé animale des communautés à détecter les maladies pour qu’ils puissent proposer des services aux personnes vivant dans les zones de pâture écartées ou difficiles d’accès. Le CICR
a aussi construit trois cliniques vétérinaires pour les animaux d’abattage, équipées
de laboratoires d’analyse et où travaillent des personnes qualifiées. Trois autres sont en construction.

«Pour garantir qu’une communauté mange et vende de la viande saine, deux mesures sont importantes : des consultations vétérinaires fréquentes et la disponibilité de médicaments de bonne qualité, explique Massimo Zecchini. Des animaux en bonne santé produisent aussi davantage de lait. À terme, ils se vendront à un meilleur prix, ce qui accroîtra le revenu familial.»

Tous ces efforts visent à préserver la santé de personnes déjà confrontées à d’immenses difficultés – des inondations aux sécheresses cycliques, au déplacement et au conflit en cours. Ils contribuent aussi à protéger la santé du marché local des aliments, les moyens de subsistance et le commerce local.

De nombreux défis

Bien que l’activité semble intense dans ce marché animé, les femmes de Daraawista sont confrontées à bien des défis. Beaucoup élèvent seules leurs enfants, car elles ont perdu leur mari à cause du conflit.

Le nombre de ménages qui ont pour principal soutien une femme ayant augmenté ces 20 dernières années, les femmes sont ici parmi les personnes les plus vulnérables. Néanmoins, elles sont très résilientes, gèrent de petits commerces, élèvent leurs enfants et jouent un rôle essentiel dans la stabilité des marchés locaux et du tissu social. Beaucoup, par exemple, ont accueilli chez elles des orphelins et des personnes âgées de leur communauté.

« En tenant de petits étals de thé ou de boucherie, elles contribuent à l’économie, tant dans les zones rurales que dans les zones urbaines », dit Dusan Vukotic, coordonnateur des programmes de secours du CICR en Somalie. « Nous leur apportons un appui en leur assurant une formation afin qu’elles puissent bien gérer le type d’activité qu’elles préfèrent. »

Il est particulièrement difficile, pour les mères seules, de jongler avec le rôle de soutien de famille et celui de parent. Saadiya se souvient qu’un soir, de retour à la maison, elle a vu que son plus jeune enfant était tombé et s’était gravement blessé à la tête. Elle l’a tout de suite emmené à l’hôpital, où elle a veillé sur lui pendant les six mois qui ont suivi.

Deux jours après l’accident, la police est venue chercher Saadiya parce que le propriétaire de son étal pensait qu’elle avait quitté la ville sans payer son loyer. Alors que son fils était encore hospitalisé, elle a dû retourner travailler. Saadiya ouvrait son étal six heures par jour, retournait chez elle pour préparer le repas de ses autres enfants, puis passait la nuit à l’hôpital avec son fils. Depuis, l’enfant s’est remis, mais l’épisode donne un aperçu des énormes défis que doivent surmonter les femmes de ce pays.

*Le nom de Saadiya a été changé pour protéger son anonymat.

Rita Nyaga
Assistante en communications à la délégation du CICR en Somalie

Livestock on the way to market near Beletweyne, Somalia. Photo: ICRC

Sur le même sujet

Un atterrissage en douceur

Pour des volontaires comme Sami Rahikainen, il est crucial d’établir une relation de confiance avec les migrants qui arrivent dans un nouvel endroit à la recherche d’une toute nouvelle vie. Voici son histoire.

Quand la rivière donne et reprend

À Rangpur (Bangladesh), le risque d’inondation est une menace constante pour les communautés locales qui vivent d’une activité de pêche artisanale. Ici, les habitants s’emploient encore à reconstituer leurs moyens de subsistance après la dévastation causée par la mousson de 2019.

Cette page existe aussi en:

Découvrir d’autres articles

Pour recevoir directement dans votre boîte aux lettres les meilleurs articles

Voulez-vous être tenu informé?

Ceci pourrait vous intéresser...

Surmonter le cyclone

Comment l’autonomisation des femmes, les programmes d’aide en argent liquide et la formation pour la résilience aident des familles dans la région côtière du Bangladesh à se préparer et à reconstruire leurs vies face aux tempêtes et inondations à répétition.

Jetez un coup d’œil